Translate

L'"homme de la forêt" victime de l'huile de palme


Symbole de la fragilité de la biodiversité, l'orang-outan (Pongo pygmaeus) est classé comme espèce en danger critique d'extinction dans la liste rouge de l'UICN.
Symbole de la fragilité de la biodiversité, l'orang-outan (Pongo pygmaeus) est classé comme espèce en danger critique d'extinction dans la liste rouge de l'UICN. AFP/JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN
Il y a urgence. Le grand singe roux, avec lequel nous partageons environ 98 % de notre patrimoine génétique, ne vit que dans les îles indonésiennes de Bornéo et Sumatra. Sa population y était estimée à plusieurs centaines de milliers d'individus il y a cent vingt ans ; ils ne seraient plus que 65 000 environ et ces effectifs se réduisent un peu plus chaque année. D'ici à vingt ans, l'unique singe anthropoïde d'Asie pourrait avoir disparu de son habitat naturel si la déforestation, menée pour l'essentiel au profit de la production d'huile de palme, continue au rythme actuel. Pour l'orang-outan ("homme de la forêt" en malais), qui se nourrit, s'accouple, se repose et se déplace dans les arbres, le maintien de ce biotope est en effet vital.
A cette menace s'ajoute celle de la chasse, devenue d'autant plus active que les conflits entre l'homme et le grand singe se multiplient. Pour la première fois, une enquête de terrain, menée par l'ONG People and Nature Consulting International auprès des villageois du Kalimatan (la partie indonésienne de Bornéo), a livré sur ce point des informations précises. Publiées dans la revue scientifique PLoS ONE, elles décrivent une situation désolante.
Dirigée par le biologiste Erik Meijaard, de l'Université du Queensland (Brisbane, Australie), cette étude a consisté à interroger, entre avril 2008 et septembre 2009, près de 7 000 personnes vivant dans 687 villages. Les questions portaient sur leur situation socio-économique, leur connaissance de la faune locale et leurs rapports avec les grands singes. Il ressort de cette enquête que, malgré leur statut d'animaux protégés, de 750 à 1 800 orangs-outans ont été tués entre avril 2007 et avril 2008. Ce qui témoigne d'une évolution "positive" par rapport aux années précédentes (meilleure connaissance de la loi ou moindre présence de l'animal ?), puisque les villageois, interrogés sur des périodes plus anciennes, évoquent un tableau de chasse annuel supérieur à 2 000 singes.
Les motifs de ces abattages ? 54 % des réponses évoquent la recherche de viande de brousse, 10 % la protection des cultures, 15 % des conflits survenus dans les villages. L'enquête souligne également le laxisme des autorités indonésiennes, qui ne poursuivent qu'exceptionnellement les contrevenants : 63 % des personnes interrogées reconnaissant avoir tué un de ces primates admettent savoir qu'ils sont protégés par la loi.
Il est malheureusement probable que les tensions entre les Indonésiens et les grands singes arboricoles ne s'apaiseront pas de sitôt. "L'orang-outan a de grandes capa cités d'adaptation. Lorsque la forêt tropicale, qui constitue son habitat naturel, se transforme en plantations de palmiers à huile, il apprend à se nourrir des fruits de pal mier", constate Yaya Rayadin, chercheur à l'université de Mulawarman (Samarinda, Bornéo). Fruits dont est précisément extraite la précieuse huile... D'où d'inévitables conflits.
DEUX ESPÈCES
Le 21 novembre, le Jakarta Globe rapportait ainsi l'arrestation, dans le Kalimantan oriental, de deux hommes qui ont reconnu avoir tué plus d'une vingtaine d'orangs-outans en échange de récompenses offertes par des propriétaires de plantations de palmiers à huile.
Motif d'inquiétude supplémentaire pour les défenseurs des grands singes : une étude, publiée début 2011 dans la revue Nature, sous l'égide du Centre génomique de l'université Washington (Saint Louis, Etats-Unis), a permis de comparer la diversité génétique des deux espèces d'orangs-outans, celle de Bornéo (Pongo pygmaeus) et celle de Sumatra (Pongo abelii). Cette dernière, dont les effectifs se réduisent désormais à quelque 7 000 individus, n'en a pas moins conservé une assez grande diversité génétique. La première, en revanche, présente un génome relativement semblable d'un individu à un autre, ce qui la rend plus vulnérable aux changements de milieu et aux maladies. Pour ses 50 000 à 60 000 représentants, il s'agit d'une mauvaise nouvelle de plus.
Catherine Vincent
Se gostou, compartilha... :)